L’on apprend que les comptes du groupe de presse ont été partiellement dégelés hier par les autorités, sans doute pour anticiper les voix qui commençaient à s’élever de plus en plus contre une mesure qui menace des emplois.
Mais pourquoi geler les comptes d’une entreprise privée de cette manière si brusque et autoritaire ?
Le groupe de presse Djoma Média souffre depuis ses débuts de ce qu’on peut appeler la ‘’malédiction du riche’’ qui est le fait d’être jalousé, envié et même détesté parce que tout simplement l’on a les moyens de ses ambitions. Le groupe Djoma media a été catalogué depuis ses débuts comme un média au service du pouvoir déçu par ses détracteurs et par ceux là qui veulent d’un monopole sans nom dans l’univers de la presse audio-visuelle ou qui souhaitent s’abonner à un abus de position dominante.
Ainsi, les nouvelles autorités dès leur arrivée ont pris fait et cause pour celles et ceux qui souhaitent voir ce fleuron de la presse à terre. Cela a commencé le 9 octobre dernier par une attaque des hommes encagoulés appartenant aux forces spéciales pour terroriser l’état d’esprit des pauvres travailleurs de ce média. La raison d’une telle descente musclée des forces officielles nuitamment dans des locaux protégés par le droit de propriété ? soi-disant à la recherche de véhicules volés appartenant à l’Etat.
Les raisons de cet acharnement des nouvelles autorités sont toutes simples : elles confondent la personne de Kabinet Sylla Bill Gates, ancien haut fonctionnaire de l’Etat, à un groupe privé lui appartenant. Dans un Etat de droit, quand on soupçonne un ancien commis de l’Etat de collision entre sa mission publique et ses activités privées, on saisit la justice en vue de l’ouverture d’une information judiciaire.
Dans quel cadre les comptes d’une entreprise privée peuvent faire l’objet de gel ?
L’Etat est un acteur particulier de la vie économique. Il pose ce qu’on appelle le cadre juridique. Ainsi, il peut contraindre, grâce aux lois, les entreprises à agir dans certains sens. En tant que législateur, l’Etat peut contraindre les entreprises à adopter un certain nombre de comportements.
Ces contraintes juridiques ont pour objet de protéger les partenaires, les consommateurs, les travailleurs, les citoyens de comportements pouvant être excessifs de la part de certaines entreprises.
Ce cadre juridique comporte aussi bien des obligations pour l’Etat que pour les entreprises. S’agissant de l’Etat, il doit garantir la liberté d’entreprendre, de concurrence dans le cadre du libre marché. Il doit également protéger le droit de propriété.
En retour, les entreprises doivent également remplir un certain nombre d’obligations vis-à-vis de l’Etat. Parmi lesquelles : la protection des salariés telle que prévue dans le droit du travail, la publication des informations financières et comptable afin de s’assurer que l’entreprise respecte ses engagements vis-à-vis de ses partenaires, le paiement des taxes et impôts conformément à la législation en vigueur, la lutte contre la corruption et le blanchiment. Et le gel des avoirs d’une entreprise peut être envisagé par la justice lorsque celle-ci trempe dans des activités illicites.
Le gel des avoirs peut concerner une personne physique ou morale. Cela consiste à bloquer tous les comptes et capitaux de la personne ou du groupe dont les avoirs sont gelés. Toute vente ou acquisition de bien lui est également interdite. Si l’Etat peut décider de geler les comptes des organismes qui relèvent de lui dans le cadre des contrôles et de moralisation de la gestion publique par une simple mesure administrative, il ne peut en revanche décider de geler les comptes d’une entreprise de droit privé. Une telle décision ne peut être prise que s’il y a une décision d’un juge qui va dans ce sens.
Cette mesure est prise le plus souvent par un juge d’instruction à titre conservatoire, dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue, la corruption, le terrorisme ou le blanchiment d’argent, en attendant que la procédure judiciaire aille à son terme.
Dès lors, le gel des comptes du groupe de presse Djoma Média en dehors de toute procédure judiciaire, en tout cas s’il en existe une, l’opinion n’est pas informée, est une atteinte au droit de propriété protégé par la constitution et par la charte de la transition en son article 20 : « tout individu a droit à la création, à la protection et à la jouissance de ses œuvres intellectuelles et artistiques », une violation de l’article 24 de la charte de transition « la liberté d’entreprise est garantie », c’est également une atteinte au droit au travail prescrit par l’article 21 (nul besoin de rappeler que les salariés du groupe ne sont pas payés depuis plus de trois déjà) mais aussi une violation des articles 19 et 23 de la charte adoptée par le CNRD lui-même.
Pour finir, si la junte a des choses à reprocher à l’ancien intendant général à la présidence de la République sur sa gestion, que la justice soit la boussole comme le disait le Colonel Doumbouya au soir d’un certain 5 septembre 2021. Si l’Etat a la preuve d’une collision entre l’ancienne fonction de Kabinet Sylla et ses entreprises en l’occurrence Djoma Média, qu’une procédure judiciaire en bonne et due forme soit ouverte, le cas échéant, ce serait de l’acharnement gratuit contre une entreprise privée nourrit par des rancœurs personnelles. Même dans une période d’exception comme la nôtre actuellement, les droits et libertés doivent être garantis et protégés.
Aussi, geler les comptes d’une société de droit privé sans raison apparente et sans l’aval d’un juge, est très mauvais pour créer le climat des affaires permettant aux investisseurs de venir investir dans notre pays. C’est un signal négatif qu’il faut absolument corriger.
Par Alexandre Naïny BERETE, juriste, analyste politique
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Last modified: 26 décembre 2021