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La charte du 27 septembre 2021: une trahison de l’esprit de la transition (Ousmane Guirassy)

3 octobre 2021

Le lundi 27 septembre 2021, le Comité National de Redressement et du Développement a publié « La charte de la transition ». Cette charte comporte 84 articles et un préambule de 15 alinéas. Elle fait donc office des lois et de la constitution. Autrement dit, cette charte fait lieu et place des lois de la République et de la constitution pendant la période transitoire. « Nous, membres des forces et de sécurité de la République » à la place de « Nous, peuple de Guinée » a donné le coup d’envoi de la trahison de l’esprit de la transition. Et la signature de cette charte par le Président qui n’a pas encore été investi, vient définitivement acter cette trahison.

Une charte des droits et libertés ne se limite pas à affirmer des valeurs fondamentales, en principe partagées par tous. Elle porte aussi en elle le germe de la subversion. La subversion du droit tel qu’on le pratique. Avec cette charte de la transition, certains s’en inquiètent et d’autres s’en réjouissent. Ceux qui s’en réjouissent pensent qu’elle crée du renouveau et apporte un espoir de bonne gouvernance politique, économique et sociale. A contrario, ceux qui s’en inquiètent comme moi, pensent qu’au-delà de l’imprécision, ce texte est gorgé de l’incohérence et de vice de procédure.

Mais que faut-il entendre par charte ?

Une charte protège des libertés et droits fondamentaux. Effet, elle constitue un outil dont se servent ceux qui veulent remettre en question des règles, des usages, voire de simples pratiques, souvent fort anciennes, dont ils prétendent qu’ils ne respectent pas.

Elle est alors brandie par un individu ou une minorité, contre une norme qui est l’œuvre, quoique de bonne ou de mauvaise foi, de la majorité. En Guinée, cette charte a été paraphée et signée par une seule et même personne et rédigée par un groupe d’individus non identifiés, dont leurs identités et leurs qualités juridiques ne sont pas rendues publiques. Cette absence de transparence est regrettable et juridiquement critiquable. Comme disait Ellul Jacques, l’absence de source et de qualité juridique de ou des rédacteurs d’un texte juridique « est un délaissement des témoignages des acteurs des évènements, ce qui au final constitue un manquement aux règles essentielles de l’histoire d’une nation ». L’histoire nous a appris le danger de remettre tout le pouvoir à une seule personne. L’exemple de Napoléon est édifiant.

Après le coup d’État de Napoléon en 18 Brumaire (novembre 1799), l’abbé Sieyes disait devant une foule compacte au sujet du Putschiste Napoléon « Messieurs, nous avons un maître, ce jeune homme fait tout, peut tout et veut tout ». Résultat, ce jeune homme est devenu le dictateur que l’histoire de la France et de l’humanité tout entière retiendra à jamais. Cet exemple n’est pas si loin de ce que prévoit cette charte, car elle consacre tout le pouvoir en un seul homme. C’est le cas par exemple de l’article 38 du chapitre deux « le président de la transition est le chef de l’Etat, chef suprême des armées, chef de l’administration. Il détermine la politique de la nation et assure par son arbitrage le bon fonctionnement des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat ». L’article 50 poursuit en prévoyant que « le Premier ministre est responsable devant le président de la République ». Deux analyses sont nécessaires à ce niveau : Un trop plein des pouvoirs du Président de la république (I), de la légèreté et l’incohérence de la charte (II)

I) Un trop plein de pouvoirs du Président de la république.

A) Le pouvoir du premier ministre vide de contenu.

D’abord l’article 38 susmentionné prévoyant que le « Président de la République détermine la politique de la nation » est un pouvoir de trop du président de la République parce que dans tous les pays démocratiques du monde, ce rôle revient tout naturellement au Premier ministre.
Nous proposons de rectifier cet article en supprimant le terme le Président de la République « détermine la politique de la nation » « et prévoir que « le Premier ministre détermine et conduit la politique de la nation ». Sans cela, la fonction du premier ministre ne servira rien d’autre qu’un simple collaborateur. Ce n’est pas parce que la Guinée est dans un régime de transition politique qu’elle doit faire exception à une règle démocratique séculaire.
A observer cette charte de près, on se rend compte sans grande difficulté que le régime choisi est un régime présidentialiste bicéphale. Ce qui veut dire que le pouvoir exécutif comporte « deux têtes » : le président de la République chef de l’Etat, et le Premier ministre, chef du gouvernement. Pour autant, l’article 50 prévoit malencontreusement la responsabilité du premier ministre devant le président de la République sans préciser la nature juridique de cette responsabilité.

B ) Une imprécision de la responsabilité du premier ministre devant le président
L’article 50 prévoit en son alinéa 3 que « le premier ministre est responsable devant le président de la république » Cet article est imprécis et incohérent, car il ne précise pas de quelle responsabilité s’agit-il. Est-ce une responsabilité politique ? Est-ce une responsabilité pénale ? Est-ce une responsabilité civile, individuelle ou une responsabilité comptable ? Ce manque de clarté est déplorable parce qu’en principe, la responsabilité politique des membres du gouvernement n’existe qu’à l’égard de L’Assemblée Nationale. Donc dans le cas guinéen actuel, les membres du gouvernement ne devraient être politiquement responsables que devant le Conseil national de la transition CNT car, l’article 56 de la charte dit que « le CNT est l’organe législatif de la transition ». Ni le premier ni le dernier ministre, ni même le gouvernement ne devrait être responsable devant le Président de la République. Et pourtant, c’est bien tout le contraire qui est constaté dans cette charte de la transition.

Pénalement, selon le principe de légalité des délits et des peines théorisé par Béccariat, le déclenche -ment de l’action publique appartient au ministère public donc au procureur de la république et aux particuliers victimes directe d’une infraction pénale. Or, l’article 50 de la charte dit simplement que le premier ministre est responsable devant le Président point barre. Cela amène à dire que le Président de la République peut pénalement poursuivre et sanctionner le Premier ministre. Un véritable pied de nez au principe de séparation des pouvoirs. Si un esprit généreux pouvait nous expliquer de quelle responsabilité s’agit-il, nous en seront très heureux.

Ces démonstrations précédentes, autorisent à nier la pertinence de cette charte et à l’accuser de trahir l’esprit de la transition.
Ces différentes formulations sont juridiquement aventureuses et ouvrent droit à de la concentration du pouvoir en une seule main. De plus, le risque de dérive n’est pas très loin. A vouloir faire d’une seule personne le décideur de la vie ou de la mort d’une nation tout entière est une grave erreur juridique.

II) De la légèreté à l’incohérence de la charte

Quand bien même il serait difficile de reprocher un manque de bonne volonté aux rédacteurs de cette charte, ils ne peuvent tout de même pas être exemptés de manque de rigueur intellectuelle. C’est le cas lorsque l’article 3 du chapitre II est contraire à l’article 60 du chapitre IV de la charte (A). Quand bien même la Guinée est dans une phase de transition politique, la protection de l’environnement est le grand oublié de cette phase transitoire (B).

A) De l’imprécision au possible risque de conflits.

Lorsque les rédacteurs de ladite charge prévoient à l’article 6 que « les parties politiques concourent à l’expression du suffrage » sans daigner préciser de quel suffrage s’agit-il, peut en toute évidence créer de risque de conflits électoraux. Cet article ne dit pas si les parties politiques concourent au suffrage universel direct/indirect, censitaire ou capacitaire.

1) Une incohérence aux conséquences multiples
Cet article ne précise pas non plus si les candidats sont élus à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour du scrutin, un deuxième tour est-il organisé ? Cette imprécision peut entraîner plusieurs conséquences. Il n’est de secret pour personne que les violences qu’a connues ce pays sont nées de la contestation électorale. En outre, l’une des promesses du CNRD est d’organiser des élections acceptées par tous les acteurs et de la majorité de la population. L’imprécision de cet article ne va pas dans le sens de cette promesse.

A cet effet, le suffrage, venant du latin suffragium, est un vote exprimé lors d’une délibération ou d’une élection. Donc une voix exprimée est un suffrage. Si on s’en tient à cette formulation initiale, tous les candidats aux différentes élections bénéficiant au moins une voix, seront vainqueurs. Parce que l’article susmentionné dit que « les candidats concours à l’expression du suffrage » sans rien préciser. Cet article nécessite donc un amendement ou une complétude en y ajoutant « suffrage universel direct ou indirect exprimé à un ou à deux tours ». A la lecture de ce même article, on s’aperçoit que ce sont seulement les partis politiques qui concourront à l’expression du suffrage universel. Les candidatures indépendantes sont bannies du processus électoral. Ce qui est regrettable pour une nation qui veut construire un nouveau pacte social, démocratique et Républicain.

La rectification de l’article 6 est impérative parce que selon l’article 84, cette charte tient lieu et place de la constitution et ce pour toute la durée de la transition dont la date de fin n’est pas encore connue. Ce qui veut dire que, le seul texte pouvant être évoqué devant les juridictions est cette charte. Et si les élections sont organisées sur la base de ce texte, le risque de conflit est inévitable parce que cette charte a beaucoup de failles et que tout le monde n’est pas bête dans ce pays.

Passons au chapitre III, précisément à l’article 3 qui prévoit que « La Guinée est une République unitaire et indivisible, souveraine, sociale et laïque ». C’est ce dernier mot qui nous intéresse particulièrement. Arrêtons donc nous là-dessus un instant.

Que faut-il entendre par laïcité ?

D’abord le mot laïcité n’est pas un concept. C’est un principe. Donc étant un principe, la laïcité garantit l’indépendance et la neutralité de l’Etat à l’égard des religions. En France par exemple, c’est la loi du 9 décembre 1905 qui a consacré le principe de laïcité. Elle prévoit que l’Etat ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Ceci étant dit, les rédacteurs de cette charte se mêlent encore une fois les pinceaux parce que juste après, ils prévoient à l’article 60, la participation de deux représentants des confessions religieuses qui siègeront parmi les 81 membres composants le CNT. Jusqu’à preuve de contraire, le CNT est un organe politique et non religieux. Dès lors, si la Guinée est une République laïque, la présence des confessions religieuses dans des instances de décisions politiques n’est pas souhaitable. Les confessions religieuses peuvent/ou doivent être un organe consultatif avec avis non lié.

2) Le manque de courage politique de la charte

Sur les 81 membres que composent le CNT, seulement 30% de femmes y siègeront pendant que les hommes représenteront 70% des membres. Selon une étude statistique du ministère du plan rendue publique en 2020, sur une population de 12,233 millions d’habitants, il y a 6.802, 741 femmes contre 5.430.371 hommes soit environ 60% de femmes. Comment peut-on construire une société juste et égalitaire si on pense implicitement que les femmes sont intellectuellement inférieures aux hommes ? Comment le CNRD peut crier sur tous les toits qu’il entend rompre avec les maux dont était malade la Guinée, s’il reproduit les mêmes Godzillas du passé. Les femmes constituent la clé de voûte de notre société, de notre économie. Ce sont les premiers de « cordée ». Ce sont elles les lèvent tôt et les couchent tard. Au-delà de toute cette incontestable énumération au sujet des femmes, depuis 1958, ce sont les hommes qui sans partage dirigent ce pays. Je pense qu’il est tant d’avoir le cran de laisser les femmes aussi essayer parce que les hommes n’en sont pas encore capables. La preuve est devant les yeux de tout le monde car, voilà où nous en sommes après 63 ans de souveraineté et de gouvernance masculine.

B) L’omission regrettable de la protection de l’environnement dans la charte

81 articles, 13 pages dont deux pages de préambule, zéro article, zéro mot sur la protection de l’environnement. Pendant ce temps-là, les grues, les trains minéraliers, les gros porteurs, les engins lourds de toutes marques sont en train de dévaster le système terre de la Guinée. Pendant que les fleuves, les rivières, les lacs sont en danger imminent de disparition. Pendant que dans certaines zones comme Boké est en train de vivre une révolution écologique d’origine humaine. Personne ne s’en inquiète du capitalocène que ce pays vit actuellement. La Guinée ne doit pas être une exception dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est extrêmement dommage que cette charte, n’a pas consacré une seule phrase à l’écologie qui est devenue selon les termes des nations unies « une urgence ». Au sens du dernier rapport du GIEC (groupe intergouvernemental d’étude sur l’évolution du climat des Nations unies) prévoit selon les scénarios de réponse politique, entre 1,2 °C et 6 °C de plus de réchauffement climatique à la fin du XXIème siècle. La barre des +2°C par rapport à la période préindustrielle sera difficile à ne pas atteindre. Pourtant, ce sont des industriels qui sont à 70% des pollueurs. Et la Guinée constitue une diarrhée industrielle installée à peu près dans tout le pays.

Le fait de ne rien prévoir dans ce texte contre la destruction de notre système terre constitue un vide juridique pendant toute la période transitoire. C’est donc un open-bar pour les compagnies minières et un far-west pour tous les autres industriels de fabrique d’eaux minérales etc. Il est donc tant que l’écologie soit considérée comme une partie intégrante de la démocratie politique. Et que l’Etat s’engage à la défendre au nom du peuple.

Il n’est pas étonnant que cette absence de texte pour la nature n’ait créé aucune onde de choc parce que l’esprit de la tradition a été trahi depuis les premiers mots de la charte. Dans le monde des libertés et droits fondamentaux, les règles lapidaires ne doivent pas être prises à la légère. Or ce n’est pas ce qui s’est produit dans cette charte. Cette charte n’est rien d’autre finalement, qu’un énoncé d’idéaux vers lesquels tout le peuple de Guinée doit tendre parfois en boitillant. L’honnêteté intellectuelle commande de conclure que cette charte est dépourvue de clarté, de précision et de cohérence.

Hans Kelsen disait que « si entre un ordre public de direction et un ordre public de protection la règle de jeu n’est pas claire, rien ne pourra empêcher la naissance d’une nouvelle catégorie qui cherchera lentement sa voie. »

Ousmane GUIRASSY
Juriste diplômé de l’Université de Bordeaux, actuellement inscrit à l’université de Paris 1 Panthéon Sorbonne.
e-mail: mahannafaousma@gmail.com

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Last modified: 3 octobre 2021

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