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Lettre ouverte au Président du CNRD, Colonel Mamady Doumboya (Par Pierre Pévé BAVOGUI)

24 septembre 2021

Excellence Monsieur le Président du CNRD,

 J’ai décidé de m’adresser à vous parce que notre pays, la République de Guinée, vit un moment crucial de son existence. Ce moment, comme vous le souhaitez, exige que chaque fils et fille de la nation s’exprime pour donner son opinion et proposer des pistes de solutions permettant de remettre le pays sur les rails du développement social et économique auquel aspirent des millions de nos compatriotes et principalement les plus oubliés dans les confins de la Guinée profonde. 

Cher Colonel Mamady DOUMBOUYA,

Votre acte héroïque qui a renversé le régime de Monsieur Alpha Condé, désormais Ex-Président, a suscité de l’espoir au sein des populations guinéennes et à apporté du sourire sur les lèvres des personnes opprimées et défavorisées. Cet acte ne doit pas aboutir à un échec car, c’est une occasion unique pour la Guinée de réécrire son histoire glorieuse et de se hisser parmi les nations dignes et respectables. 

Cher Colonel,

Vous êtes entré dans l’histoire des grands hommes en uniforme comme les capitaines Thomas Isidore Sankara et Jerry Rawlings du Ghana que vous avez d’ailleurs cité dans votre première adresse à la nation. Mais pour y demeurer, il vous faut des actions concrètes et courageuses qui sortent du commun des hommes ordinaires. 

Aujourd’hui, la population guinéenne, ouest africaine et africaine est de nouveau fière d’une armée qui a su prendre ses responsabilités face à une gouvernance qui broyait lentement et silencieusement un peuple opprimé, meurtri et sans défense malgré l’existence de toutes les institutions dites internationales.

Ces institutions avaient préféré ignorer les souffrances d’un peuple tout entier pour une soi-disante stabilité qui ne dit pas son nom et qui a fini par nous faire comprendre que ces organisations internationales étaient faites pour soutenir les hommes politiques au pouvoir et non les causes des citoyens des pays qui en sont membres. 

Monsieur le Président du CNRD,

Vous avez été témoin du vécu des guinéens ces dernières années et vous ne restez pas sans savoir que ce peuple a longuement suivi sa marche douloureuse vers la liberté depuis la lutte pour l’indépendance jusqu’à nos jours. 

Pour remédier à cette souffrance de notre peuple, vous devez poser des actions qui rassurent et mettent en confiance les populations guinéennes face au devenir du pays. 

C’est pourquoi, la période transitoire ne doit pas se limiter à une simple organisation d’élections présidentielles comme le souhaitent certains partenaires traditionnels. Cette transition politique doit être une occasion de refonte des institutions républicaines qui exige préalablement une réconciliation des guinéens avec eux-mêmes à travers des assises nationales. 

Ainsi, pour ma part, pour mener à bien cette transition politique, je vous propose humblement des idées articulées autour des points suivants : 

  1. La durée de la période transitoire ;
  2. La nomination d’un gouvernement de transition ;
  3. La conduite des audits des dix dernières années ;
  4. La mise en place d’une commission vérité et réconciliation ;
  5. L’installation des institutions républicaines.
  1. De la durée de la période transitoire

En démocratie, on parle de la transition démocratique qui, définie comme un long processus de transformation (politique, économique et sociale), permet à un Etat de passer de l’autoritarisme à la démocratie. Elle comporte deux étapes principales à savoir : la transition politique dont la bonne gestion peut conduire à la seconde étape qui est la consolidation démocratique.

C’est pendant la transition politique que les reformes de démocratisation sont engagées. Mais, ces réformes ne sont pas des « formules magiques » mais plutôt, une nécessité de tirer les leçons de notre passé pour redéfinir le chemin que nous voulons emprunter. C’est ce que disait l’auteure Nathalie DELCAMP (2005), « en transition démocratique, il n’y a pas de « recette magique », mais une nécessité de gestion satisfaisante et habile de certains problèmes d’ordres théoriques et pratiques en tenant compte du passé et de la réalité de chaque peuple ».

Cela demande du temps car, si le chemin est mal tracé, la Guinée aura échoué face à son histoire et vous serez pointé du doigt en tant que Président de la Transition. C’est pourquoi, il est impérieux de consacrer le maximum de temps nécessaire pour permettre d’asseoir les véritables bases de la démocratie en Guinée par la mise en place des textes et des institutions stables. Cela ne peut se faire en six mois ni même en en 12 mois. Il faudra au moins trois (03) ans pour que la transition politique puisse atteindre des objectifs louables et durables.

Les élections présidentielles ne sont pas le premier objectif d’une transition réussie mais plutôt le dernier rempart. S’il s’agissait uniquement d’organiser des élections, nous n’aurions pas besoin d’un gouvernement transitoire ni d’un Président de la Transition mais plutôt d’une Commission Nationale Electorale.

Juan J. LINZ (1991) nous rappelle ceci : « Pendant la transition politique, les anciennes règles du jeu politique disparaissent et on assiste à la venue de nouveaux acteurs avec de nouvelles stratégies.  Cette transition est effective lorsque : un gouvernement arrive au pouvoir comme le résultat direct du suffrage libre et populaire, quand ce gouvernement dispose d’un pouvoir souverain pour générer de nouvelles politiques publiques, et quand les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire nés de la nouvelle démocratie n’ont pas à partager leur pouvoir avec d’autres corps de droit. »

Les institutions ainsi mises en place avec soin, seront solides et indépendantes les unes des autres pour éviter qu’un seul organe de l’Etat ne prenne le dessus sur les autres et que la volonté d’un seul homme ne serve de boussole à la marche du pays.

Comme dira Charles Louis de Secondat, Baron de la Brède de Montesquieu ; « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser…..Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » De l’esprit des Lois 1748.

  1. De la nomination d’un gouvernement de transition 

Le choix des membres de votre équipe gouvernementale déterminera en grande partie votre engagement pour la Guinée. Elle est d’ailleurs plus qu’attendu maintenant. C’est pourquoi il sera important de choisir des hommes et des femmes qui bénéficient de l’estime et de la confiance du peuple de Guinée. Ces personnes ne doivent pas avoir été mêlées ni à la campagne du 3eme mandat ni à des supposés crimes économiques car, ils doivent être le reflet de l’espoir nouveau que suscite aujourd’hui votre arrivée au pouvoir. 

Le Premier Ministre que vous choisirez devra être audacieux, pragmatique et prompt à l’action. Il ne suffit pas seulement de nommer une personne parce que celle-ci sera diplomate avec les partenaires étrangers. Nous avons eu de bons diplomates comme Premier Ministre de Consensus et Premier Ministre de Transition mais avec des résultats que nous connaissons tous.

Choisissez des hommes et des femmes qui connaissent la Guinée et qui ne se laisseront pas intimider par qui que ce soit y compris les organisations internationales mais qui seront uniquement guidés par l’intérêt du peuple de Guinée.

Pour le poste de Premier Ministre, évitez de croire à la suprématie intellectuelle et managériale de ceux qui sont au service des institutions internationales parce qu’ils auront pour principale préoccupation de se comporter de sorte à ne pas compromettre leur retour dans ces institutions après la transition.

3.    De la conduite des audits des dix dernières années 

Votre gouvernement de transition devra conduire des audits le plus rapidement que possible. Cependant, veillez à ce que cela soit professionnel pour éviter « la chasse aux sorcières ». Il ne vous sera pas facile d’auditer en un temps record, la gestion chaotique de ce pays depuis 1984 jusqu’à nos jours. C’est pourquoi, il faut se contenter des dix (10) dernières années.

Les résultats de ces audits doivent être examinés avec sérieux et rendus publics. Les auteurs de crimes économiques devront être punis à la hauteur de leur forfaiture pour éviter que cela ne se reproduise plus. C’est un pas important vers la lutte contre l’impunité et la mauvaise gouvernance sans lesquels le pays ne pourra pas atteindre ses objectifs de développement social et économique.

  1. De la mise en place d’une commission vérité et réconciliation

La charge d’organiser les assises nationales sera la sienne. Elle devra passer en revue tous les événements politiques douloureux qui ont marqué la vie de notre pays afin de recueillir les avis des acteurs et des victimes pour ensuite réconcilier les guinéens avec eux-mêmes. Tous les coupables et les commanditaires des atrocités doivent être connus pour que des excuses publiques soient adressées aux victimes et que des engagements forts soient pris pour éviter que de tels actes ne se reproduisent dans ce pays. Cette commission doit être ouverte et inclusive de sorte que toutes les parties puissent s’exprimer librement et dans la confiance que leurs voies seront prises en considération. C’est l’étape incontournable de la marche de notre pays vers l’unité nationale.

Dans une lettre adressée à l’ex-Président en 2018 par rapport à la réconciliation nationale, je disais ceci : Excellence Monsieur le Président, À mon humble avis, il n’y a pas une autre solution que de nous asseoir autour d’une table nationale pour situer les responsabilités des événements qui ont endeuillés notre peuple. Cette table aidera chacun à comprendre la réalité des événements. La majorité des témoins étant encore vivante, cette table nationale pourrait nous révéler tant de choses que beaucoup se réservent de dire. 

Oui Monsieur Le Président, il faut le reconnaître, beaucoup de nos compatriotes témoins de tant d’événements ont toujours su garder le silence dans la mesure où certains étant aussi des victimes sont accusés à tort d’être des bourreaux. Ce sera donc une manière pour nous de leur donner la parole face à notre histoire commune. 

La découverte de la vérité est indispensable à notre effort de conscientisation nationale car elle fera tomber tant de masques que les uns et les autres préfèreront se demander pardon au lieu de réclamer justice comme cela se fait sur tous les toits aujourd’hui. 

Même en approchant déjà de la fin de votre second et dernier mandat constitutionnel, on peut encore espérer que le train de la réconciliation soit reconsidéré et remis sur les rails car, comme on le dit souvent, « Il n’est jamais trop tard de bien faire » …. Malheureusement mon cri d’alarme n’était pas tombé dans de bonnes oreilles et on sait la suite : la crise s’est accentuée ces dernières années et la confiance s’est progressivement dégradée entre les acteurs nationaux.

Monsieur le Président du CNRD,

S’ils ont échoué cette mission, j’ose croire que vous vous engagerez à la réussir avec brio pendant la transition. Et cela pourra résoudre en grande partie les crises sociales à répétition.

Une fois que les guinéens seront réconciliés par des assises nationales, vous pourrez facilement procéder à l’installation des institutions républicaines.

5.    De l’installation des institutions de la république 

Il s’agit d’asseoir conséquemment les structures politiques adaptées à notre histoire pour une transition politique réussie. C’est pourquoi, vous devez veiller à ce que les institutions républicaines soient installées de sorte que l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire soit une réalité.

Si nous sommes arrivés à un troisième mandat dont nous vivons les conséquences aujourd’hui, c’est parce que « le pouvoir n’a pas pu arrêter le pouvoir ». C’est parce que les institutions dont l’Assemblée Nationale, la Cours Suprême et la Cours Constitutionnelle étaient aux ordres de l’exécutif. C’est parce que tous les pouvoirs étaient concentrés dans les mains d’un seul homme. Pour parvenir à ce que « le pouvoir arrête le pouvoir », il y a une nécessité d’organiser les élections référendaires, les communales et les législatives avant les présidentielles.

Ainsi, je vous propose humblement de procéder comme suit :

Ø  La réécriture d’une constitution adoptée par consultation populaire (référendum) ;

Ø  L’organisation des élections locales (communales) ;

Ø  L’élection d’une nouvelle Assemblée Nationale ;

Ø  Et enfin l’organisation des élections présidentielles.

Excellence Monsieur le Président du CNRD,

Permettez-moi de me limiter ici car, je sais que vous avez déjà reçu des propositions venant des guinéens et des amis de la Guinée qui, pourront peut-être aller dans le même sens que moi car, le savoir est universel et les réflexions des hommes se croisent et se contrarient à la fois.

Pour ma part, je croise les doigts pour le peuple de Guinée que vous dirigez et dont l’espoir est immense. Que cet espoir soit comblé pour le bonheur de tous.

Je prie également pour que le Seigneur Dieu vous donne (vous et votre équipe) la force, l’intelligence, la sagesse et la clairvoyance de mener à bien cette mission si lourde et complexe qui est la vôtre aujourd’hui.

Que vive l’Etat de droit !

Que vive la Démocratie par les libertés fondamentales !

Que vive la paix en Guinée !

Dieu bénisse notre pays, la Guinée !

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Last modified: 24 septembre 2021

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